Réfection d’un acte annulé : retour à la case départ ?

18 mai 2022 Flora Roux et Alexandre Paternostre Aménagement du territoire et urbanisme / Droit administratif

La portée de l’annulation et la réfection

L’arrêt du Conseil d’État est revêtu d’une autorité absolue de chose jugée. Lorsque le Conseil d’État annule un acte administratif, celui-ci n’existe plus.

Lorsque la décision qu’elle avait adoptée a été annulée, une autorité administrative ne peut donc pas se contenter de la reprendre telle qu’elle.

Elle doit nécessairement tirer les conséquences de l’arrêt intervenu et, plus précisément, des motifs retenus par le Conseil d’État pour juger l’acte illégal. L’opération par laquelle l’administration remplace un acte administratif annulé par un autre acte purgé du vice qui a justifié son annulation se nomme la réfection.  

  • La réfection de l’acte est parfois impossible car l’administration se trouve dans l’impossibilité matérielle ou juridique de reprendre un acte à la place de celui qui a été annulé. Par exemple, si l’acte a été annulé car il a été adopté hors délai, l’administration ne pourra plus jamais statuer.
  • La réfection est dite facultative lorsque l’autorité n’a aucune obligation de statuer. Par exemple, si l’administration procède à une promotion sans y être tenue et voit sa décision annulée, elle peut très bien renoncer à son projet initial et ne pas refaire l’acte annulé.
  • La réfection est qualifiée d’obligatoire lorsque l’administration est tenue d’y procéder. Il en va par exemple ainsi lorsque le Conseil d’État annule la décision d’une administration statuant dans le cadre d’un recours organisé.

L’autorité ne doit pas nécessairement reprendre la procédure au début

Dans bien des cas, l’acte annulé aura été pris au terme d’une procédure en plusieurs étapes, dans laquelle diverses instances (demandes d’avis) ou le public sont consultés.

La question se pose alors de savoir à quel stade l’administration peut reprendre la procédure pour refaire l’acte.

L’arrêt d’annulation du Conseil d’État opère ab initio, c’est-à-dire que, non seulement l’acte n’existe plus, mais il est même censé n’avoir jamais existé : l’effet rétroactif d’un arrêt d’annulation rétablit la situation existante à la veille de l’acte annulé.

Par conséquent, l’administration a le choix soit de reprendre la procédure là où l’illégalité relevée par le Conseil d’État a été commise et la corriger, soit de la reprendre à un stade encore antérieur ou même de la recommencer ab initio (C.E., n°231.854 du 3 juillet 2015).

Si l’administration décide de reprendre la procédure au stade qui précède l’illégalité censurée, c’est en prenant le risque que d’autres illégalités affectant le stade antérieur de la procédure soient ensuite évoquées en cas recours contre sa nouvelle décision (par exemple: C.E., n°167.662 du 9 février 2007).

La réfection en cas d’annulation d’un rapport ou avis devenu décision suite à l’absence de réaction de l’autorité compétente 

En matière urbanistique et environnementale, il n’est pas rare que l’avis / le rapport d’une instance à l’origine consultative se transforme en décision lorsque l’autorité compétente ne se prononce pas dans un délai commençant à courir à dater de la réception de l’avis / du rapport.

Ainsi, en Région de Bruxelles-Capitale, l’avis du Collège d’urbanisme vaut décision en l’absence de décision du Gouvernement sur la demande de permis d’urbanisme (art. 188/3, alinéa 3, du CoBAT).

En Région wallonne, le rapport de synthèse des Fonctionnaires technique et délégué vaut décision en l’absence de décision ministérielle sur la demande de permis unique (article 95, §8, du Décret relatif au permis d’environnement).

Dans un tel cas de figure, c’est donc cet avis/ rapport qui constitue l’acte administratif pouvant, le cas échéant, être attaqué devant le Conseil d’État.

À l’occasion de son arrêt n°253.313 du 23 mars 2022, le Conseil d’État nous éclaire sur les conséquences qui résultent de l’annulation d’un tel avis/ rapport devenu décision.

Les éléments soumis au Conseil d’État

Dans le cadre de recours introduits contre la délivrance d’un permis unique pour la construction et l’exploitation d’une porcherie, les Fonctionnaires technique et délégué compétents sur recours remettent un rapport de synthèse favorable, proposant au Ministre de délivrer le permis sollicité. À défaut de décision du Ministre dans le délai légal, ce rapport de synthèse se transforme, de plein droit, en décision. Les requérants poursuivent et obtiennent l’annulation de ce rapport de synthèse valant décision.

Suite à cette annulation, plutôt que de rédiger un nouveau rapport de synthèse et de le transmettre au Ministre, les Fonctionnaires technique et délégué prennent immédiatement un nouveau rapport de synthèse valant décision, court-circuitant ainsi la compétence décisionnelle du Ministre.

Selon le Conseil d’État :

« Dès lors que l’arrêt précité a fait disparaître le rapport de synthèse sur recours à la date où il a été établi, soit avant la date à laquelle il s’est transformé en décision par l’effet du décret, il appartenait aux fonctionnaires technique et délégué d’instruire le recours en rédigeant un nouveau rapport de synthèse sur recours et de l’envoyer au ministre conformément à la procédure établie par l’article 95, § 3, du décret du 11 mars 1999, et non de prendre une décision à la place de l’autorité de recours».

Ce qu’il faut retenir

Le Conseil d’État juge que la procédure d’instruction doit être reprise au stade où l’irrégularité a été commise, soit en l’espèce au moment où l’avis / le rapport a été établi

Ce faisant, le Conseil d’Etat rappelle implicitement le rôle d’une instance d’avis / de rapport. Si l’avis ou le rapport peut se muer en décision par l’abstention de l’autorité compétente, seule cette dernière dispose d’un pouvoir décisionnel. L’instance d’avis ne peut donc pas s’arroger un pouvoir de décision en reprenant la procédure là on son avis avait déjà valeur de décision et ainsi donner immédiatement à son avis, expurgé du vice retenu par le Conseil d’État, la portée d’une décision. Elle doit soumettre son nouvel avis à l’autorité compétente, qui disposera à nouveau du délai légalement prévu pour se prononcer.

Pour toute question en rapport avec le Conseil d’État ou en matière d’urbanisme, vous pouvez prendre contact avec Flora Roux, Fabien Hans  ou Alexandre Paternostre





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