La caution judicatum solvi, une garantie vouée à disparaître ?

10 février 2020 Dieu-Hahn NGUYEN Varia

 

Par un arrêt n°135/2018 du 11 octobre 2018, la Cour constitutionnelle a jugé le mécanisme de la caution  judicatum solvi, autrement nommée exception de la caution de l’étranger demandeur, discriminatoire en ce qu’il repose sur un critère de nationalité. Elle a imposé au législateur belge de mettre fin à cette situation pour le 31 août 2019.

C’est l’occasion de rappeler en quoi consiste ce mécanisme protecteur des justiciables belges, avant sa possible disparition.

 

Une caution judicatum solvi, qu’est-ce que c’est ?

 

La caution judicatum solvi trouve sa source dans les articles 851 et 852 du Code judiciaire.

Derrière cette locution latine à première vue impénétrable, se cache un mécanisme  protecteur du justiciable belge. Son objectif est de protéger ce justiciable d’éventuelles pertes pécuniaires qu’il pourrait subir en raison d’un procès intenté sans fondement par un étranger n’offrant pas de garanties en Belgique pour assurer le paiement des frais et des dommages et intérêts auxquels il pourrait être condamné à l’issue du procès.

Ainsi, lorsqu’il est cité devant une juridiction belge par un ressortissant étranger, le défendeur belge dispose de la possibilité de demander au juge d’ordonner la constitution d’une caution avant que l’affaire ne soit examinée. La demande de fournir une caution judicatum solvi doit être soulevée in limine litis, c’est-à-dire avant toute autre exception dilatoire et avant toute défense au fond .

Cependant, ce mécanisme particulier n’est pas d’application  aux ressortissants des Etats avec lesquels la Belgique a conclu une convention dispensant de fournir la caution judicatum solvi. De telles dispenses sont nombreuses et fréquentes.

 

L’arrêt du 11 octobre 2018 de la Cour constitutionnelle

 

Dans un arrêt n°135/2018 du 11 octobre 2018, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur la constitutionnalité de l’article 851 du Code judiciaire.

A l’occasion d’un litige entre les associés belges d’une société domiciliés en Équateur et cette même société belge en liquidation, le Tribunal de Commerce de Liège a interrogé la Cour constitutionnelle au sujet de l’existence éventuelle d’une discrimination dès lors qu’une caution ne pouvait pas être sollicitée à l’encontre d’un demandeur belge, établi à l’étranger, qui ne dispose en Belgique d’aucun bien ni patrimoine.

Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle constate que l’objectif de protection du défendeur sous-jacent à l’article 851 du Code judiciaire ne justifie pas qu’il  soit poursuivi uniquement dans le cas où le demandeur est étranger. Selon la Cour, ce n’est pas la nationalité du demandeur qui doit faire craindre au défendeur de ne pouvoir recouvrer les sommes engagées, mais la circonstance qu’il réside en dehors du territoire belge et n’y possède aucun bien pouvant servir de garantie.

Aussi, en réponse à la question qui lui a été posée, la Cour constitutionnelle juge que l’article 851 du Code judiciaire viole les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où il a pour conséquence de traiter différemment les défendeurs belges selon qu’ils sont opposés, d’une part, à un demandeur étranger et, d’autre part, à un demandeur belge établi à l’étranger, qui ne dispose en Belgique d’aucun bien ni patrimoine.

Loin de remettre en cause le fondement de ce mécanisme, la Cour retient donc l’inconstitutionnalité de l’article 851 du Code judiciaire en ce qu’il ne permet pas de solliciter ladite caution lorsque le défendeur est confronté à une personne qui n’a aucun patrimoine en Belgique mais qui est belge.

En d’autres termes, il y aurait lieu, selon la Cour, d’étendre la portée du mécanisme aux situations dans laquelle le demandeur, peu importe sa nationalité, ne résiderait pas en Belgique et n’y posséderait aucun patrimoine en Belgique.

 

 Extension… ou suppression ?

 

Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle a constaté l’inconstitutionnalité de l’article 851 du Code judiciaire tout en décidant d’en maintenir les effets « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une loi qui met fin à l’inconstitutionnalité constatée en B.11 et au plus tard jusqu’au 31 août 2019 ».

A ce jour, aucune loi modificatrice visant à étendre le mécanisme n’a cependant été adoptée.

On peut même se demander si cela sera un jour le cas. En effet, face à un constat de discrimination tel qu’opéré par la Cour en l’espèce, le législateur dispose de deux moyens pour remédier à l’inconstitutionnalité : soit en étendant le mécanisme de la caution judicatum solvi à la catégorie de personne qui fait l’objet de la comparaison, soit en… supprimant le mécanisme dans son ensemble, de telle sorte qu’il ne s’appliquerait plus à aucune catégorie de personnes.

La caution judicatum solvi est un mécanisme controversé. Deux propositions de loi tendant à abolir cette caution ont d’ailleurs déjà été déposées, respectivement les 22 avril 2010 et 10 mai 2012.

A la suite de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, une nouvelle proposition de loi a été déposée le 24 janvier 2019 en vue d’abroger l’exception de la caution de l’étranger demandeur. La pertinence du maintien de ce mécanisme y est discutée, tant au regard du nombre important de traités internationaux dispensant les ressortissant des Etats signataires de fournir cette caution, qu’au regard du recours à cette garantie, presque anecdotique, dans la pratique judiciaire.

Toutefois, aucune de ces propositions n’a pas été adoptée à ce jour alors que l’échéance du 31 août 2019 imposée par la Cour constitutionnelle est dépassée.

Cela signifie-t-il que cette caution n’est plus d’application ? S’il est vrai que son avenir paraît incertain, la caution judicatum solvi existe toujours dans l’ordonnancement juridique. Le contexte dans lequel la Cour constitutionnelle s’est prononcée étant bien délimité, à notre estime, cette caution trouve encore à s’appliquer jusqu’à nouvel ordre.

Pour l’heure, un justiciable belge peut donc encore invoquer la caution judicatum solvi s’il est cité en justice en Belgique par un étranger, sans patrimoine en Belgique, depuis une plage dorée ou d’ailleurs.

 

 

Pour plus de renseignements sur les procédures à la Cour constitutionnelle, sur les effets des arrêts qu’elle prononce ou sur les lacunes législatives, vous pouvez prendre contact avec les avocats du cabinet CAMBIER.

 

 





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